La modestie avec laquelle fut annoncé le millésime 2021 contraste avec l’habituelle litanie de « millésime du siècle » que nous entonne la profession trois années sur quatre. Il était donc facile de croire que ce millésime n’avait aucun intérêt : erreur, grosse erreur, c’est un millésime qui fut difficile comme partout en France, en raison du gel et du mildiou, et qui ne donna pas des degrés alcooliques aussi élevés que ces dernières années, mais c’est un millésime subtil aux parfums affirmés et au plaisir retrouvé.
Petits rendements, vins plus difficiles à déguster parce que moins alcooleux, sans doute, mais il faut saluer cette année raisonnable, délicieuse, aux tannins soyeux, fins et équilibrés, sans doute prêts à boire plus tôt que d’habitude, un vrai millésime d’amateur.
Hélas, certains producteurs ont voulu « compenser » cette supposée faiblesse du millésime : chaptalisation excessive, surextraction, toutes ces pratiques damnables qui modifient la typicité du susdit pour n’obtenir qu’un vin déséquilibré. Non, on ne doit pas gommer l’effet millésime, comme nous l’avons entendu dans une très grande propriété, on doit au contraire le souligner, et l’aimer !
En cette année 2022, nous avons besoin de paix et d’amour, je ne dirai donc que des choses positives : commençons par l’énorme réussite de Latour avec ses trois cuvées, toutes exceptionnelles dans leur catégorie, poursuivons avec un très grand vin de Pontet-Canet, un très beau tir groupé des Saint-Julien et des Graves de Pessac-Léognan, en blanc comme en rouge. Voilà pour la gentillesse !
Ailleurs, c’est plus compliqué, en raison des Merlot peu en réussite et des difficultés, tant pour la date de vendanges que pour les choix de vinification.
En raison d’une climatologie pluvieuse et peu chaude, le cycle végétatif pourtant précoce a fini par se ralentir jusqu’à des vendanges fin septembre ou début octobre. La preuve éclatante du refroidissement climatique ? Non, une année normale ne fait pas le printemps, surtout lorsque les producteurs cherchent à modifier la typicité du millésime pour donner la sensation d’une continuité avec trois millésimes « solaires » (chauds, en français courant).
Et pourtant, le plaisir de boire des vins à 12,5 ou 13° est immense ! je rappelle aux professionnels à la mémoire courte que les plus grands millésimes de l’Histoire étaient des millésimes abondants au degré alcoolique raisonnable (12 à 12,5). Quand on a la chance de pouvoir refaire des vins dans cette fourchette, on ne chaptalise pas !
Bref, restons-en là et passons aux régions, et je vais m’efforcer de rester dans le positif :
Saint-Émilion
Comme son voisin Pomerol, la dominante Merlot coûte cher à la région, tant l’année a été favorable au Cabernet Sauvignon et au Petit Verdot. On ne s’étonnera donc pas de trouver avec Figeac l’une des plus belles réussites, si ce n’est la plus belle, du millésime. Peu de surprises par ailleurs, performances solides des premiers grands crus (mais sans éclat particulier) avec un étonnant et magnifique Chapelle d’Ausone, à 0% de Merlot.
Dans la suite de la hiérarchie de Saint-Émilion, dont on se demande d’ailleurs comment elle va évoluer, surnagent quelques premiers B (Beauséjour-Bécot, Canon, Clos-Fourtet) et Classés (Clos de Sarpe, Faurie de Souchard, La Serre, Ripeau) mais si on doit ne retenir que le podium des vainqueurs alors ils seront trois : Saint-Georges-Côte-Pavie, Villemaurine, Jean-Faure. Voilà trois grands vins et les vraies bonnes affaires de la rive droite.
Pomerol
Plus que Saint-Émilion, c’est le royaume du Merlot et cette année des mauvaises surprises, de la surextraction et de la chaptalisation, qui donne des vins dissociés et creux. Comme nous ne disons ici que du bien, le chapitre sera court : Évangile, Petit-Village, Rouget méritent qu’on s’y intéresse. Voilà.
Saint-Estèphe
Après un 2020 exceptionnel, l’appellation retombe dans le classique, voire le difficile. Là aussi, les compliments seront peu nombreux et le commentaire bref : solide performance de Montrose et de son satellite, Tronquoy-Lalande, assez bon Pez, bon Meyney. Et je ne parlerai même pas des blancs faits là-bas, ce serait hors du chant de paix et d’amour que je veux entonner.
Pauillac
Plus hétérogène que d’habitude, on oscille entre l’excellence portée à son paroxysme avec Latour et ses autres cuvées (Forts de Latour et Pauillac), le bonheur d’un vin exceptionnel, magnifique, profond, quasi parfait dans son équilibre avec Pontet-Canet, la joie d’une qualité retrouvée (Grand-Puy-Lacoste) et le reste. Du bon (Armailhacq, Pichon-Baron), du plutôt bon (Clerc-Milon, Duhart-Milon, Pichon-Comtesse), et du moins bon, voire du raté complet, surtout pour un château en particulier qui ne cesse de baisser, de baisser et de baisser encore, atteignant ici les abysses du goût végétal pas mûr. Qu’on jette un voile pudique sur son nom, je ne veux pas procéder à un lynchage en règle.
Margaux
L’appellation, hétérogène par nature, ne déroge pas à la règle. Ici, le travail de long terme paye : Brane-Cantenac, Malescot-Saint-Exupéry, Kirwan, Issan font la course en tête, auxquels on ajoute des petites mentions pour Marquis de Terme, Rausan-Ségla (pardon, Rauzan, je ne m’y ferai jamais), Prieuré-Lichine, Giscours… Un grand absent de cette liste, pourtant dégusté, aux prix très élevés, mais que la qualité du vin produit cette année ne justifiera pas.
Haut-Médoc, Listrac, Moulis
On aurait pu croire que cette grande région satellitaire ne pourrait réussir un tel millésime, c’est pourtant le contraire qui se produit avec de très jolis vins à des prix imbattables, notamment Cantemerle et Fourcas-Dupré, mais on pourra aussi s’intéresser à Clarke, Fourcas-Hosten, La Lagune, et le modeste Lamarque, très convenable.
Saint-Julien
Enfin une belle homogénéité d’appellation, avec une réussite quasi-universelle des producteurs de Saint-Julien. Pourquoi quasi ? parce que je ne suis pas amateur du style de Saint-Pierre, donc je suis incapable de l’apprécier même quand il est réussi. Je préfère donc m’abstenir de le commenter.
Les autres crus classés de la commune qui perpétue le souvenir du martyre de Saint-Julien de Brioude n’auront pas la tête tranchée : tout est réussi, mais on se doit de donner quelques favoris, alors engageons-nous : Langoa-Barton, Beychevelle, Lagrange. Un trio qui ne s’était jamais imposé dans ces pages !
Graves de Pessac-Léognan
Il faut le redire, l’appellation Pessac-Léognan est la sélection des meilleurs crus de Graves. Elle aurait pu aussi bien s’appeler Martillac-Mérignac, tant les villes sont proches. Après un 2020 déjà réussi, on aurait pu craindre une certaine baisse de qualité, c’est au contraire une amélioration qui nous prend par surprise et nous ravit, en blanc comme en rouge.
Difficile de distinguer les propriétés, tant l’ensemble est de qualité : entre les habitués du podium (Domaine de Chevalier, Les Carmes Haut-Brion), les propriétés en constante progression (Olivier, Carbonnieux) et les nouveaux entrants de cette année (Malartic-Lagravière, Fieuzal), on ne sait que choisir. Bref, tout est bon ou presque en 2021, à Pessac comme à Léognan, en blanc comme en rouge, il faut acheter, d’autant plus que l’appellation reste une des plus raisonnables en prix, qu’on la compare au reste de Bordeaux ou mieux encore à certaines autres régions viticoles françaises.
En conclusion, achetez du 2021 pour oublier 2022 et célébrer 2023, achetez des Graves et des Saint-Julien, et achetez bien !
La Synthèse
Sans le savoir, j’ai toujours utilisé le même système de notation que Michaël Broadbent, estimant que l’on ne doit juger que le niveau de qualité d’un vin. La notation sur cent, pour des vins aussi jeunes, qui changent rapidement après prélèvement, voire d’un échantillon à l’autre, est bien trop précise, bien qu’employée par une majorité de commentateurs. Je préfère une notation plus large, faisant confiance à l’intelligence du lecteur.
Cinq étoiles (vin sublime)
Château Latour
Quatre étoiles (très grand vin)
Ausone
Chapelle d’Ausone
Figeac (+)
Pontet-Canet (+)
Pichon Baron
Forts de Latour
Issan
Durfort-Vivens
Rouget
Domaine de Chevalier (blanc)
Trois étoiles (grand vin)
Graves de Pessac-Léognan
Olivier (rouge) (+)
Carbonnieux (blanc et rouge)
Les Carmes-Haut-Brion (+)
Domaine de Chevalier (rouge)
Fieuzal (blanc et rouge)
Malartic-Lagravière (blanc et rouge)
La Louvière (blanc et rouge)
Pape-Clément (rouge) (+)
Picque-Caillou (rouge)
Smith-Haut-Lafitte (blanc et rouge)
Pomerol
Clos René
Certan de May
Vray Croix de Gay
Saint-Émilion
Beauséjour-Bécot
Canon
Clos-Fourtet (+)
Cheval-Blanc (+)
Jean-Faure (+)
Monbousquet
Pavie
Quinault-L’Enclos
Ripeau
Saint-Georges-Côte-Pavie (+)
Villemaurine (+)
Pauillac
Pauillac de Latour (+)
Armailhacq (+)
Grand-Puy-Lacoste (+)
Mouton-Rothschild
Le Petit Mouton
Clerc-Milon
Duhart-Milon
Pichon-Comtesse
Saint-Estèphe
Montrose
Meyney
Pez
Saint-Julien
Beychevelle (+)
Ducru-Beaucaillou
Gruaud-Larose
Lagrange (+)
Langoa-Barton (+)
Léoville-Poyferré
Léoville-Barton
Talbot
Margaux
Giscours
Kirwan
Malescot-Saint-Exupéry
Haut-Médoc (et Listrac, Moulis)
Cantemerle
La Lagune
Foucas-Dupré
Nota : comme chaque année, un certain nombre de vins n’ont pu être dégustés faute de temps ou de compatibilité de l’emploi du temps, et ne peuvent figurer dans cette sélection : il s’agit de Petrus, Lafite-Rothschild, Margaux, Haut-Brion, Angélus, Léoville-Las-Cases, Calon-Ségur notamment.